Compétitivité : une urgence pour redresser la ferme France

En séance publique, j’ai interpellé le Ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire, Monsieur Marc Fesneau, au sujet de la compétitivité de la ferme France.

Qualité versus quantité : le rapport que nous examinons aujourd’hui opposerait ces deux modèles. Je me refuse à entrer dans ce débat.

Notre agriculture est plurielle : conventionnelle, haute valeur environnementale (HVE), raisonnée, bio, etc. Il y a de la place pour tous.

En revanche, je suis pleinement conscient du contexte qui a conduit à la rédaction de ce rapport : nous ne sommes plus compétitifs. C’est évident, et cela ne date pas d’hier : nous y avons tous notre part de responsabilité. Avec un constat : la ferme France s’affaiblit et s’appauvrit. Les chiffres en attestent : 100 000, c’est le nombre d’exploitations perdues au cours des dix dernières années, avec un taux d’agriculteurs dans l’emploi passé de 7 % en 1982 à 1,5 % en 2019. Quel jeune va choisir ce métier ? Avec des prix non rémunérateurs et des coûts qui connaissent une hausse exponentielle – a fortiori avec l’augmentation des matières premières –, qui sera tenté ?

Les agriculteurs sont les seuls qui ne décident pas du prix de leurs produits. On le leur impose en faisant fi de tous leurs coûts de production. Cette asphyxie s’ajoute aux éléments exogènes qu’ils subissent de plus en plus durement : aléas économiques, climatiques et sanitaires, dont on parle souvent dans cet hémicycle.

Ils subissent la volonté de la grande distribution. Cependant, on peut agir. En amont, les professionnels doivent avoir des liens directs avec les consommateurs. Connaître l’évolution des goûts, des besoins, construire des stratégies et s’adapter au marché est un minimum. Et pourtant, certaines filières n’ont pas su s’y conformer.

Nos voisins espagnols se sont structurés par secteurs avec des stratégies collectives très efficaces sur les marchés européens. En France, on se concurrence les uns les autres…

Prenons l’exemple des coopératives viticoles, nombreuses en Occitanie, que je connais bien. Sur un même territoire, on est incapable de faire une offre globale, en produisant les mêmes vins : chacun pour soi ! C’est une voie facile pour les cinq négociants qui, de ce fait, jouent de la division des producteurs. In fine, ce sont eux qui fixent les prix et créent une dépendance. Il en est de même, d’ailleurs, pour d’autres filières.

Il est urgent de définir des approches nationales et régionales pour décider de stratégies commerciales et d’image efficientes, car notre agriculture s’inscrit dans un marché mondial où la concurrence est exacerbée. Mais nous ne luttons pas, il est vrai, à armes égales. Les charges sociales et les normes diffèrent et nos agriculteurs pâtissent de ces inégalités.

Dans le rapport, il est question de lourdeurs administratives. Souvent mentionnés par les agriculteurs en difficulté, les formulaires s’accumulent et prennent une large part du temps de travail. Lorsque l’on sait qu’ils travaillent plus de soixante heures par semaine, la simplification, vieux serpent de mer plus qu’acte réel, s’impose vraiment.

Monsieur le ministre, vous défendez vos administrations, c’est naturel. Mais les faits sont là, et les dossiers sont là. Le dernier pour lequel on m’a interpellé date de la semaine dernière : un jeune agriculteur de 26 ans s’est vu refuser plus de 20 000 euros, faute d’avoir remis un formulaire, ou parce qu’il a oublié de cocher une case dans une demande au titre de la politique agricole commune (PAC).

Alors oui, il peut perdre son entreprise et s’énerver. Le droit à l’erreur devrait s’imposer, tout comme la bienveillance devrait être de mise. Cette lourdeur bien caractéristique de la France contribue à notre baisse de compétitivité. Monsieur le Ministre, je vous invite à remplir un dossier PAC, à compter les arbres, par exemple.

Cochez les mêmes cases du parcellaire chaque année, alors que vous pourriez n’indiquer que ce qui a changé ! Je l’ai vécu en direct, pendant plus de huit heures.

Une fonctionnaire de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l’Hérault, très impliquée, très humaine, m’a aidé, car il a fallu que je reconstitue mon dossier parcellaire, perdu par les services ! (Sourires.) Elle m’a expliqué que chaque pays membre a son propre logiciel. En Italie, d’où elle est originaire, il est bien plus simple. Pourquoi ?

Que voulons-nous réellement ? Les solutions existent. Certaines sont dans le rapport : mettre fin aux surtranspositions, augmenter les crédits à l’innovation et à la recherche ou encore développer les contrôles. Un exemple : la loi Égalim impose à la restauration collective 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % doivent être bio. Quel en est le bilan ?

La stratégie doit être globale. Quelle vision pour notre agriculture ? Quels enjeux, avec quels moyens ?

Lorsque, avec ma collègue Françoise Férat, nous avons proposé, comme première préconisation de notre rapport sur les suicides en agriculture, de faire de l’agriculture française une grande cause nationale en 2023, ce n’était pas symbolique : c’est au contraire primordial. C’est adresser un signal fort à nos paysans, c’est placer le foncier agricole, la formation, les paiements pour services environnementaux, l’eau ou encore la souveraineté alimentaire comme sujets forts à étudier ensemble plutôt qu’isolément. Le coup par coup nuit à l’efficacité. Les enjeux sont transversaux, les solutions doivent l’être aussi.

Réponse du Ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire, Monsieur Marc Fesneau :

 Monsieur le sénateur Cabanel, vous évoquez le sujet de la rémunération, auquel nous essayons de répondre avec la loi Égalim. Je ne prétends pas qu’elle est parfaite – vous allez être saisis d’un texte qui complétera un certain nombre de ses dispositions –, mais je pense que nous allons dans le bon sens. Je ne connais d’ailleurs personne qui me dise que tel n’est pas le cas et mes homologues – européens, mais pas seulement – sont intrigués. Ainsi, les Canadiens sont intéressés par la construction du prix à partir du coût de production et de la matière première, c’est-à-dire par l’amont, et non par l’aval.

Nous avons aussi besoin, dans notre dialogue avec nos concitoyens, de ne pas nous laisser embarquer dans le débat inflation versus rémunération. Depuis plus de cinquante ans, on nous explique que ceux qui luttent contre l’inflation défendent une cause nationale. Or cela se fait généralement sur le dos des agriculteurs. En effet, il faut le dire, ces exigences, notamment environnementales, qui nous sont propres, ont un prix. Il faut mener ce combat, qui est une dimension de celui en faveur d’une juste rémunération.

Par ailleurs, vous avez raison, il faut davantage de coopération, entre filières et à l’intérieur de celles-ci. Je regrette parfois que ce ne soit pas davantage le cas. Ce ne sont jamais les filières qui bénéficient de cette situation, mais les tiers, qui en tirent le meilleur parti en termes de rémunérations et de prix.

J’en arrive au droit à l’erreur. Vous m’avez saisi du dossier que vous avez mentionné. Je défends les administrations non pas par principe, mais parce qu’elles accomplissent d’abord la volonté du législateur et du Gouvernement : j’en prends ma part. Rejeter la faute sur les administrations reviendrait à se défausser. Ce « génie français » relève de notre responsabilité collective : à chaque problème, nous créons une réglementation. La « PAC française » est bien plus élaborée que dans d’autres pays, mais c’est parce que nous avons entendu tenir compte de certaines attentes et différences. Nous avons créé un système complexe ; il n’est donc pas étonnant que les règles administratives le soient également. Il faut y travailler et avoir une forme de bienveillance, en expliquant mieux, par exemple, la PAC en cours de déploiement pour 2023. Les agriculteurs ne doivent pas être pris en défaut alors que leur bonne foi n’est pas mise en cause.

Ma réplique :

Vous avez bien compris mon interrogation sur la complexité des règles administratives applicables à l’agriculture. L’administration est là pour nous contrôler, et les agriculteurs l’acceptent. Cependant, elle est aussi là pour nous aider. Lorsque je constate le désespoir d’un certain nombre d’agriculteurs, j’insiste, de nouveau, sur le besoin de bienveillance, à la fois de la part de l’administration et de la Mutualité sociale agricole (MSA). Les agriculteurs ne sont pas simplement des chiffres dans les tableaux de la MSA : ce sont des femmes et des hommes.

Retrouvez mon intervention en vidéo via ce lien

 

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