Compétitivité de la Ferme France : une proposition de loi clivante

Je suis intervenu en séance publique, ce mardi 23 mai, au sujet de la proposition de loi proposant un choc de compétitivité en faveur de la Ferme France :

Nous voici réunis une fois encore, je n’ose dire une fois de plus, pour parler d’agriculture. Une fois posé le constat amer de son déclin, ce texte analyse les causes qui sont multifactorielles : charges excessives, surtransposition, coût de l’innovation et prix trop chers… Avec une absence de politique transversale depuis vingt ans.

Je partage ce raisonnement et remercie les auteurs de la loi Messieurs DUPLOMB, LOUAULT et MERILLOU pour leur engagement constant. Cependant, depuis des années, je milite pour une loi agricole qui englobe TOUS les enjeux agricoles. Et ils sont nombreux… La santé publique, la valeur partagée, la protection de l’environnement, le foncier, la préservation de la ressource en eau, le maintien d’un métier non délocalisable, la transmission, l’adéquation à l’évolution des gouts et souhaits des consommateurs, la sauvegarde des paysages… Tous ces enjeux méritent d’être étudiés dans leur interconnexion …  Les dissocier, comme cela a été fait, conduit inévitablement à des politiques morcelées qui, effectivement, font oublier la compétitivité.

 

En France -c’est le cas au niveau syndical mais aussi au niveau politique-, on oppose souvent l’écologie à l’économie. Nos débats trop souvent clivés en témoignent. Je suis convaincu que c’est une erreur. Les politiques agricoles ne doivent pas être conçues par le petit bout de la lorgnette !

 

En effet, le constat du réchauffement climatique, l’annonce de milliers d’espèces disparues ou menacées… nous obligent à revoir nos modes de production et de consommation. Concernant la rareté de l’eau, la situation devient très tendue. Dans nos territoires du sud, des communes sont régulièrement ravitaillées en eau potable. Les Préfets ont déjà pris des arrêtés pour limiter certains usages. On ne peut l’ignorer… Il faut raisonner globalement pour la gestion de l’eau en sachant que l’agriculture en a besoin car elle est source de vie. Y compris la bio !

Le triptyque – santé, économie et environnement – doit être au cœur de nos argumentations. Ils doivent être prise en considération ensemble. Nous avons un devoir moral envers les générations futures. C’est complexe mais possible. Et caricaturer un modèle qualitatif, en le limitant à des niches et en lui faisant peser tout le poids du déclin agricole, n’est pas entendable.

Je suis persuadé qu’il y a de la place pour toute forme d’agriculture à condition que celle-ci soit sincère et réponde aux enjeux. Quand je parle de sincérité, je pense au Bio qui a suscité un engouement face aux aides et à l’évolution de la PAC qui s’est verdie.

Le Bio traverse aujourd’hui la même crise que l’agriculture conventionnelle et de nombreux agriculteurs pensent revenir à leurs anciens modes de production car le seul filtre, ici, est le volet économique. Ce serait une erreur ! Si l’on y intègre les 2 autres indissociables enjeux que sont la santé et l’environnement, les gouvernants doivent soutenir cette filière le temps de la crise conjoncturelle.

Je l’avais dit précédemment et cela avait pu choquer, mais les organisations doivent également se structurer, se solidariser… En France, dans le secteur du vin par exemple, il n’y a pas de stratégie nationale. Seulement par bassins viticoles. Et certaines appellations d’un même territoire se concurrencent entre elles… Dans un contexte de crise, pouvons-nous encore nous offrir ce luxe ? Ne pouvons-pas nous mettre tous autour d’une table, comme l’ont fait nos voisins espagnols, pour élaborer des stratégies communes et offensives ?

Enfin, comment peut-on imaginer en prenant encore l’exemple de le la filière viticole, qu’un vin sorte de la cave à 75 centimes le litre et se retrouve à 6 euros le verre de 15 centilitres ?

Chercher l’erreur ! Tout le monde doit gagner de l’argent à condition que la valeur soit partagée. Et ce n’est évidemment pas le cas… Comment ce texte va t’il améliorer cette problématique ?

J’ai l’impression que le morcellement dans les politiques agricoles largement critiqué est reproduit ici et que les auteurs ont fait des propositions avec le seul filtre de la compétitivité et donc essentiellement de l’économie. Ou sont les autres enjeux ?

Pour détailler le texte, le RDSE se réjouit de plusieurs avancées notamment sur les clauses miroir, la transposition, la création du livret-agri, le diagnostic carbone… Inutile de vous dire ma satisfaction concernant l’article 8 bis préconisant un rapport de bilan exhaustif relatifs aux PSE. Avec mon collègue Franck MONTAUGER, nous n’avons cessé d’expliquer, depuis 2016, les services rendus par les agriculteurs : stockage de carbone, lutte contre les incendies via le pastoralisme, ouverture des espaces, maintien des paysages…Ceux-ci doivent être pris en compte et récompensés.

A l’inverse, je déplore l’article 1. Je ne comprends ni la volonté ni la nécessité d’avoir défendu la création d’un Haut-commissaire à la compétitivité des filières agricoles.  Alors que ce même texte montre du doigt la complexité administrative et prône la simplification, on vient rajouter une couche au Ministère de l’agriculture, au Conseil général de l’agriculture et aux chambres d’agriculture…Cela signifie-t ’il que ces structures n’ont pas de vision prospective ? Pas d’objectifs sur la compétitivité ? Si c’est cela, c’est grave ! Car c’est le cœur même de leur mission : établir des évaluations et des stratégies.

De même, l’article 11 me choque car il revient sur la loi EGALIM en décalant l’échéance de 2022 à 2025 sur les produits de qualité durable (dont 20% de BIO), alors que nous n’avons pas assez de recul. La solution ne serait -elle pas plutôt la relance des PAT, projet alimentaires territoriaux, qui structureraient la demande et l’offre locale autour de ces objectifs de qualité. Dans l’Hérault par exemple, ces objectifs sont gagnés grâce aux 10 PAT dont un départemental.

Enfin, je m’étonne de l’article 18 qui réhabilite le conseil et la vente de produits phytopharmaceutiques. Comment peut-on être juge et partie ?

Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai comme la majorité de mon groupe. Ce texte, nous le savons est politique, puisque la loi d’orientation se profile. Souhaitons qu’elle prenne en compte tous les enjeux. La bataille se jouera pour penser des actions cohérentes qui y répondent.

Retrouvez mon intervention via ce lien.

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