Accord UE-Mercosur : cri d’alerte face à une concurrence déloyale

Ce mercredi 27 novembre, je suis intervenu en séance publique au sujet de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur : 

« La guerre de la viande a-t-elle commencé ? » s’est interrogé le quotidien Les Échos il y a deux jours. Cette question résume en quelques mots le contexte exacerbé qui s’intensifie autour de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.

Un post d’Alexandre Bompard, président-directeur général du groupe Carrefour, sur le réseau social LinkedIn est à l’origine de cette interrogation : « Par solidarité avec le monde agricole, Carrefour prend l’engagement de ne commercialiser aucune viande en provenance du Mercosur ».

Il n’est pas facile d’être solidaire sur un marché international quand toutes les interactions, économiques, environnementales ou politiques, s’entremêlent !

Le retour de bâton ne s’est pas fait attendre ; il s’est traduit par une suspension de livraisons de viande brésilienne au groupe Carrefour de la part de gros producteurs et par une réaction outrée du ministre de l’agriculture du Brésil.

Si l’opposition à cet accord fait, de façon rarissime, l’unanimité politique en France – pas moins de 622 parlementaires ont cosigné un courrier adressé à Ursula von der Leyen –, n’oublions pas que ce traité ne date pas d’hier.

Le 27 avril 2018, le Sénat avait adopté à l’unanimité, sur proposition du groupe du RDSE, une résolution relative aux négociations de cet accord.

L’exposé des motifs soulignait alors : « À l’instar de l’accord économique et commercial global (Ceta), ce projet d’accord soulève des inquiétudes quant aux répercussions à la fois économiques et sanitaires des nouveaux contingents qui seront autorisés à pénétrer le marché européen. »

Une nouvelle résolution, qui confortait la position du Sénat, était adoptée le 16 janvier 2024.

Bref, le sujet n’est pas nouveau, mais le contexte géopolitique, lui, était bien différent en 2018. Il s’est aggravé depuis, notamment du fait de la guerre en Ukraine et de la dissolution de l’Assemblée nationale, qui nous a fragilisés.

Si la position de la France est unanime aujourd’hui, c’est que nous avons eu le temps d’étudier les enjeux et les effets potentiels de cet accord. Ils sont de nature environnementale, sanitaire, économique et démocratique.

Comme je l’ai indiqué dans la proposition de résolution européenne que j’ai déposée récemment avec mes collègues Maryse Carrère et Michel Masset au nom du groupe du RDSE, le premier des risques est la fragilisation économique de plusieurs filières agricoles françaises, certaines d’entre elles étant déjà en très grande difficulté.

Dans le nouveau cadre d’échanges, l’Union européenne s’engage à abaisser ses barrières tarifaires sur la viande bovine, la volaille, le sucre et l’éthanol.

Quelque 160 000 tonnes de viande bovine, principalement des morceaux à haute valeur ajoutée, seraient ainsi importées en Europe.

De même, quelque 180 000 tonnes de volailles, soit une hausse de 20 %, seraient importées à droit nul.

Alors que la filière volailles décline, affaiblie par la grippe aviaire, par le soutien dérogatoire aux importations de poulets ukrainiens ou encore par la surtransposition des normes européennes, l’écart de compétitivité avec la production brésilienne, estimé à 36 % pour un poulet standard, pourrait précipiter sa chute.

Enfin, cet accord entraînerait l’importation de 180 000 tonnes de sucre et de 8,2 millions d’hectolitres de biocarburants, ce qui représente la moitié de la production française.

Alors que l’Union européenne défend et impose une agriculture vertueuse sur le plan environnemental et sanitaire nécessitant des investissements coûteux, Bruxelles laisserait entrer dans le même temps des produits agricoles sud-américains, à rebours de ses propres prescriptions.

Cette posture est tout aussi contradictoire que déraisonnable. Elle est encore aggravée par cette forme de déni – une pierre de plus dans le jardin de l’accord de Paris – qui fait fi des émissions importées qu’un tel accord produirait.

Il s’ensuivrait une concurrence déloyale et inéquitable à plus d’un titre. L’aspect sanitaire est en effet à considérer également, en l’absence d’un régime solide de clauses miroirs.

Les agriculteurs qui ont crié et continuent de crier leur colère en France, mais aussi devant le Parlement européen, ne peuvent pas comprendre que l’Union européenne impose des exigences sanitaires de haut niveau à ses États membres, mais non aux exportateurs des pays tiers, qu’il s’agisse de traitements antibiotiques ou de produits phytosanitaires. Nous n’avons en effet aucune garantie de contrôle. Les agriculteurs français ne comprennent pas cette réalité, car elle est tout simplement incompréhensible.

Tout comme les agriculteurs européens qui partagent les mêmes craintes, ces derniers veulent gagner leur vie grâce à leur métier, sans dépendre de compensations financières. Ils n’ont pas peur de la compétitivité – je l’ai déjà dit à cette tribune –, à la condition que les mêmes règles s’imposent à tous.

Dans la perspective d’autres accords potentiels avec le Mexique, le Chili, l’Inde, le Kenya, l’Indonésie ou encore la Thaïlande, la construction d’un régime solide de clauses miroirs est une nécessité absolue.

Je rappellerai les propos de l’ancien président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son discours du 13 septembre 2017 sur l’état de l’Union : « L’Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons. »

Sept ans plus tard, l’Europe s’est oubliée. Elle est divisée, sans stratégie commune, privilégiant des postures individuelles sous couvert d’une industrialisation en perte de vitesse, qui la pousse à abandonner ses agriculteurs et pose la question de notre souveraineté alimentaire qui s’érode.

Face au protectionnisme de puissances comme la Chine ou les États-Unis, cette vision à court terme montre la fragilité de nos postures, mais aussi de notre diplomatie.

Se pose enfin la question du bénéfice social pour les pays d’Amérique latine. En effet, la déforestation repousse souvent sur des terres montagneuses moins fertiles les populations et les petites structures agricoles au profit des plus puissantes.

En Colombie par exemple, l’accaparement des terres au profit d’une dizaine de familles s’est développé après la signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et la Colombie, qui s’applique depuis 2013. Résultat, les exportations se font au détriment du marché intérieur et de l’agroécologie paysanne.

Enfin, l’accord de libre-échange avec le Mercosur constitue un enjeu démocratique.

Pour contourner la position de la France, qui pourrait faire valoir son droit de veto dans le cadre de l’approbation d’un accord mixte, la commission pourrait procéder à une scission du texte pour en extraire un accord commercial relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne.

Ce projet porterait atteinte aux parlements nationaux. Il ne respecterait pas le mandat de négociation initial donné par le Conseil européen à la Commission. Il serait très inquiétant pour l’avenir de l’Europe que la confiance soit ainsi bafouée d’un simple revers de main.

Rappelons qu’à la signature de l’accord d’association entre la Commission européenne et le Mercosur, le communiqué du 28 juin 2019 de la commission était clair : « Le nouveau cadre commercial, composante d’un accord d’association plus large entre les deux régions, consolidera un partenariat politique et économique stratégique et offrira d’importantes possibilités de croissance durable à chacune des parties, tout en respectant l’environnement et en préservant les intérêts des consommateurs et des secteurs économiques sensibles de l’Union européenne. »

Compte tenu de toutes les interrogations que nous avons soulevées, force est de constater que nous sommes loin du compte.

Quelles seront donc notre force de frappe et notre marge d’action ?

Certaines voix émergent : nous ne serions pas si isolés que cela et la France pourrait bien rallier un nombre suffisant d’États pour former une minorité de blocage. En attendant, les négociations se poursuivent.

Les récentes décisions du Parlement européen concernant le report d’un an des contraintes sur la déforestation confirment toutefois l’abandon très clair des valeurs et des engagements affichés. Elles ne sont pas un bon signe.

La France doit rester ferme. Elle ne cédera pas aux arrangements entre faux amis. Nous continuerons le combat pour que cet accord ne voie pas le jour en l’état.

En tout état de cause, nous resterons vigilants sur ce que vous nommez un « accord possible équilibré » : la variable d’ajustement ne doit pas être exclusivement l’agriculture française.

Retrouvez mon intervention en vidéo 

Add A Comment