Quel impact d’avancer les négociations commerciales de 6 semaines ?
En séance publique, ce jeudi 26 octobre, je suis intervenu au sujet du projet de loi faisant office de mesure d’urgence, pour adapter le Code du Commerce aux négociations commerciales dans la grande distribution :
Le principe de cette quatrième version de la loi Égalim pourrait être ainsi résumé : « La stratégie des petits pas »…
Soyons réalistes ! Comme cela a été dit à l’Assemblée nationale et comme cela sera sûrement répété par nos collègues au Sénat aujourd’hui, ce texte est une grande opération de communication sur le pouvoir d’achat des Français : aucune garantie de l’efficacité de ses dispositifs n’a été donnée ; seul le gain d’un délai de six semaines est visé.
Je pose une question simple : à quelles décisions permettant d’améliorer le pouvoir d’achat des Français les « mesures d’urgence » évoquées dans le titre du projet de loi font-elles allusion ?
Nous sommes dans un monde libéral, fondé sur la liberté du marché, et je m’étonne chaque fois de votre volonté de fixer des prix. N’est-ce pas une utopie sociale adoptée par des libéraux ?
Entre énoncer des vœux et la réalité, il y a, on le sait, un gouffre. Si l’impact était évalué et reconnu, mon groupe vous aurait soutenue, madame la ministre, car, dans le contexte de crise que nous connaissons, tout ce qui peut être mis en œuvre pour alléger le budget des foyers est à encourager et à soutenir.
Hélas, nous n’avons aucune assurance de l’efficience de ce texte, le quatrième en cinq ans, qui s’ajoute à toutes les lois sur les relations commerciales. Le contexte est le même aujourd’hui qu’hier et qu’avant-hier. Malheureusement, il sera le même demain, car ce n’est pas ce projet de loi qui empêchera les deux extrémités de la chaîne à payer le prix fort, à savoir, bien sûr, les agriculteurs d’un côté et les consommateurs de l’autre.
Dans la guerre des prix, c’est aux paysans que l’on impose un prix pour leurs produits ; il n’y a que pour eux que cela existe ! Ils subissent de plein fouet les crises sanitaires, climatiques, politiques, mais aussi, comme tous, l’inflation, avec la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières.
Dans les premières négociations, le prix de production des agriculteurs a été pris en compte, mais en aucun cas la hausse du coût des énergies et des matériaux.
Quant aux consommateurs, on leur fait miroiter des prix bas, alors que la marge obtenue à diverses étapes de la chaîne ne fait que s’amplifier.
En quoi les dispositions de ce texte changeront-elles la donne ? Si l’inflation affecte les ménages – c’est le postulat de ce projet de loi –, elle touche également les autres maillons de la chaîne…
Lors des auditions, qui se sont déroulées en septembre dernier à l’Assemblée nationale, des représentants de la grande distribution ont expliqué que, malgré les négociations à venir, les prix pourraient encore augmenter, car le contexte est incertain. Tout le monde se rejette les torts : les distributeurs accusent les transformateurs et les industriels de l’agroalimentaire. Quand certains affichent 48 % de marges, la décence oblige à la raison.
Or nous ne sommes pas dans un monde de raison. Alors que certains Français souffrent, se paupérisent, d’autres ont eu l’idée géniale de la shrinkflation, ou comment payer le même prix pour avoir moins !
On parle beaucoup de partage de la valeur, mais l’on sait que celle-ci ne profite jamais aux producteurs.
Une fois de plus, je prendrai l’exemple, qui est très parlant, du vin, même s’il ne s’agit pas d’un produit de grande consommation. Le prix du litre du vin acheté dans une cave coopérative s’élève à 0,75 euro. À cela, il faut ajouter la marge du négoce, qui définit le prix, puis celle du distributeur, puis celle des bistrots ou des restaurants. Au total, vous obtenez un verre de quinze centilitres à 5 euros, soit plus de 32 euros le litre ! Cherchez l’erreur…
Le juste prix peut exister, mais sans la volonté de tous, il ne restera qu’un vœu pieux.
Le problème le plus récent, au-delà de la concurrence exacerbée en France, réside dans les groupements d’achats européens, au sein desquels les distributeurs ne cessent de s’adapter pour mieux contourner la loi française, se mettant ainsi hors de portée du législateur français.
Allons-nous légiférer exclusivement en fonction de la conjoncture ?
Madame la ministre, comment croire qu’un délai de six semaines résoudra tous les problèmes ? Comment croire que les négociations aboutiront à une amélioration si elles ne sont pas fondées sur la sincérité et sur la raison ?
Au fil des lois, des débats et des négociations, la chape de plomb pèse toujours de plus en plus sur les producteurs et sur les consommateurs.
Le législateur est prolixe en textes censés encadrer les relations commerciales, mais la réalité est bien plus agressive : il s’agit d’une guerre des prix qui pousse constamment ceux-ci à la baisse sur les produits d’appel, tout en permettant de dégager des marges énormes sur d’autres articles.
La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim 1, a eu le mérite de mettre tous les acteurs concernés autour de la table pour discuter des problématiques et des enjeux. Reste que les solutions sont manifestement difficiles à trouver.
Nous ne vous jetons donc pas la pierre, madame la ministre, mais gardez-vous d’utiliser de fausses solutions fondées sur des délais dans un tel contexte de détresse pour de nombreux Français.
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