Réduction des normes agricoles : mon intervention

Je suis intervenu le 6 décembre dernier dans le cadre de la discussion au Sénat d’une proposition de résolution en faveur de la réduction des normes applicables à l’agriculture.

Celle-ci vise à :

– Faire adopter chaque année un plan de simplification des normes agricoles au niveau national, au sein d’une instance dédiée associant toutes les parties prenantes, qui pourrait être le conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et alimentaire.
– Développer les études d’impact a priori et a posteriori, et systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur.
– Mettre en place des démarches expérimentales, afin de s’assurer que les nouvelles normes sont adaptées aux attentes du monde agricole, avant leur généralisation,
– S’engager réellement à ne pas sur-transposer les normes européennes, et se doter d’outils de mesures pour garantir le respect d’un tel engagement.
– Faire évoluer les règles de la politique agricole commune, pour accorder aux États membres des souplesses, par exemple pour les calculs de surfaces ou l’application du verdissement.
– S’aligner sur le droit européen en matière d’installations classées et raccourcir les délais d’instruction des dossiers, pour ne pas bloquer les initiatives.
– Faire évoluer les règles en matière d’utilisation de l’eau pour faciliter la réalisation de retenues collinaires.
– Alléger les plans d’épandage, en faisant confiance davantage aux agriculteurs dans leurs pratiques de fertilisation.

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Le texte de mon intervention :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie, au même titre que mon collègue socialiste Franck Montaugé, des signataires de cette proposition de résolution de MM. Bailly et Dubois. Pourquoi cette posture ?

Au-delà de l’exposé des motifs, auquel je ne peux adhérer du fait du chantier de simplification inédit mis en place par le Gouvernement depuis cinq ans, j’ai cosigné ce texte, car notre agriculture mérite de dépasser les clivages idéologiques. Notre objectif est commun : être innovant et audacieux pour trouver des solutions de sauvegarde des filières.

Aujourd’hui, face à cette proposition de résolution, je me dois d’être honnête et logique avec mes convictions en partageant le constat général de ce texte : la question de la norme, de sa faisabilité, de son acceptabilité, de son utilité est centrale pour le monde agricole.

Comme le rappelle notre collègue Odette Herviaux dans son excellent et instructif rapport consacré au sujet, l’exercice du métier d’agriculteur doit respecter et composer avec le droit de plusieurs domaines : le droit du travail, le droit de la sécurité sanitaire, de composition, de présence de résidus, d’étiquetage, le droit de l’environnement, la protection de la santé, le droit économique…

Les normes sont européennes et nationales, législatives ou réglementaires. Quelle complexité pour celui qui est non un professionnel du droit, mais un travailleur de la terre ! Il est ainsi évalué que les exploitants consacrent plus de 15 % de leur temps à la gestion des tâches administratives. Et le temps, c’est de l’argent ! Je peux témoigner ici devant vous : le viticulteur que je suis resté se débat régulièrement avec la superposition des procédures, formulaires et autres.

Je vais vous relater une anecdote consternante qui vous fera sourire, j’en suis sûr. Elle concerne le dernier courrier que j’ai reçu émanant de la Mutualité sociale agricole : il s’agit d’un rappel de cotisation pour 0,01 centime. Il aura coûté deux timbres à 0,80 centime, soit 1,60 euro, c’est-à-dire 160 fois le montant du rappel de cotisation ! Où est l’humanisme ?

Répondre aux attentes sociétales de protection de la nature, de règles sanitaires n’est évidemment pas que négatif. La mise en place de normes dans l’agriculture française a largement contribué à son essor. Elle a permis à notre agriculture d’atteindre un niveau de compétitivité élevé, reconnu en France et par-delà nos frontières, et de faire émerger des filières de production de qualité.

Il s’agit donc de ne pas caricaturer cette évolution. Mais l’inflation normative peut aussi se révéler, comme le rappelle le texte de la résolution, un vrai « frein à la compétitivité des exploitations dans un environnement économique marqué par la disparition des outils publics de régulation des marchés agricoles ». Quelles sont les difficultés rencontrées par la filière agricole vis-à-vis de l’inflation normative ?

C’est tout d’abord celle de l’adéquation de la norme au terrain, la faisabilité. Sur ce sujet, les points d’achoppement avec les exploitants sont nombreux. La complexité de leur application résulte d’ailleurs parfois de la volonté de produire des dispositifs sur mesure. Toutefois les cas sont aussi nombreux où la complexité apparaît gratuite et constitue un frein à l’initiative. Et là est notre problème !

Un premier exemple : les mutuelles obligatoires dans le cadre des contrats saisonniers. L’application de cette règle à tous les salariés, sans discrimination d’ancienneté, pose de nombreuses difficultés, notamment de gestion pour l’employeur. Quant aux délais de traitement des dossiers par les organismes assureurs, le salarié reçoit souvent ses documents alors qu’il a déjà quitté l’entreprise.

Un second exemple : les procédures d’installation des jeunes agriculteurs demeurent complexes et freinent ce pour quoi elles ont été créées.

En somme, les exemples ne manquent pas, et nous devons être solidaires d’une vigilance commune.

La faisabilité est aussi liée à la question de la complexité. Les agriculteurs sont confrontés à une montagne de normes qui s’enchevêtrent et deviennent incompréhensibles.

Des chantiers de simplification importants ont été mis en œuvre. La mission menée par Odette Herviaux en rappelle quelques-uns : l’expérimentation de l’autorisation environnementale unique, la réduction des délais de recours contre les installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, dans le domaine de l’élevage, de un an à quatre mois, ou encore l’allégement des prescriptions techniques des arrêtés ICPE élevage.

Je citerai un autre exemple : la réforme de l’évaluation environnementale, en août dernier, qui a fortement réduit le nombre de projets soumis à évaluation environnementale systématique.

Là réside le paradoxe bien connu de la simplification : elle est méconnue des agriculteurs eux-mêmes, en raison de l’instabilité presque chronique de la norme. Ainsi, la simplification même devient source de complexité.

Il faut souligner le contraste entre la réalité des normes et la façon dont elles sont ressenties et accueillies par leurs destinataires : les exemples d’incohérence sont très mal vécus. Le nombre de ces incohérences demeure pourtant, en réalité, limité, et elles sont sûrement amplifiées par les crises connues par l’agriculture ces dernières années.

Ce constat frappant m’amène à un dernier point, qui me paraît essentiel.

La question posée est aussi celle de l’acceptabilité de la norme. Les pouvoirs publics doivent faire preuve de pédagogie. Leur rôle est évidemment celui du contrôle de la mise en œuvre de la norme, mais il faut également savoir agir en amont pour désamorcer les incompréhensions, grenades qui, une fois dégoupillées, minent irrémédiablement le dialogue.

J’aime faire référence au formidable travail des douanes, notamment dans la viticulture. Les rencontres entre la filière et les services, les explications, enfin la compréhension des obligations de chacun, ont généré une relation apaisée basée sur la confiance et sur un rapport « gagnant-gagnant » qui a inversé l’imagerie ancienne. Rappelons-nous, les douanes disaient : les viticulteurs truandent ; eux disaient : les douanes nous assassinent !

Sur ce point, la création du comité de rénovation des normes en agriculture, ou CORENA, instance consultative bipartite entre la profession et les pouvoirs publics, constitue une avancée certaine.

En parallèle des études d’impact évaluant le poids des normes nouvelles et existantes, études qui sont nécessaires, il faut développer les expérimentations.

Je ne veux même pas aborder la question de la PAC et les procédures de déclaration de surface, qui demandent le comptage des arbres sur nos exploitations. Il faut rappeler toutefois qu’aucune surtransposition n’a eu lieu depuis 2012. Partant de ce constat, c’est bien au niveau européen qu’il faut agir en priorité.

Nous le savons, il n’est pas simple de simplifier, mais il est nécessaire de partager ce souhait pour y parvenir. Vous comprendrez aisément que, en tant que signataire, je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Gérard Bailly et Daniel Dubois applaudissent également.)

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